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Élisabeth Dussert

1941 – 1990

Éternelle amoureuse, Babeth était une artiste étonnante aux multiples facettes, dans le domaine de la peinture et de l’écriture : poésies, contes, romans, écrits biographiques, aquarelles, dessins, gouaches, pastels...

Improbable écriture de la douleur

Avant son départ anticipé pour le voyage sans retour, Babeth a consacré les dernières années de sa vie à sa création littéraire, centrée sur la douleur. Paradoxalement, la plupart de ses œuvres picturales trahissent au contraire un certain ravissement, en particulier les aquarelles.

Son premier roman a été publié en 1981. Que l'on ne s'y trompe pas, derrière sa joie affichée, Babeth était habitée par un impres­crip­tible drame amoureux que le titre de son roman résume à lui tout seul :

« Tout à l’heure, je t’ai attendue pendant des années »

Roman à connotation biographique, Éditions Syros, 1981

Faire le mur, s’évader, Léa veut exister autrement que par la famille, l’école, le mariage. Le fond de la déprime, c’est le voyage dans ce passé de mal-amour, c’est la recherche d’un interstice de liberté à travers quelques contrebandiers d’occasion : Alban sa première fugue, Pierrot son funambule du désespoir, Hélène qui lui ouvre les frontières de l’exil nécessaire et Sophie surtout, sa sœur d’envol et de rupture qui, tout au long du voyage, accompagne sa délivrance.

Léa, femme à naitre entre toutes ses pâles tentatives ou dérives vers… quoi au juste ? Ce bonheur qu’elle veut présent et non plus à venir, joue si souvent à « marche ou crève ». Léa ne veut plus marcher. Et elle ne veut pas crever…

Le dernier ouvrage de Babeth est un conte à caractère autobiographique :

« Poupée de sang » (alias « Bassin rouge »)

Fragment... La table recouverte de bouts de papiers, de cendriers débordants, de plumes noircies, de compotiers pleins de crayons cassés, de papiers froissés d’épluchures, de gommes cendreuses... Commencement ?... Une tasse à rincer pour du café… Relever la tête agonisante vers les fenêtres plaintives barbouillées de pluie grise... Revenir aux pages de sel pour des mots gercés hésitants, minuscules trajets sans lendemain ! Refuge du café bien chaud… Et contre le silence éreintant, le Requiem de Fauré...

Virgule de chaire, je coule en ta rivière de lait et de senteurs... Je me fais petite pour entrer en toi, y trouver place de reine... Me saouler de toutes tes musiques épaisses et troubles, y succomber, me greffer en toi... Il n’y a que là, dans ta peau, que je suis en paradis... Tu m’imprimes de ton rire, je m’abrite dans tes yeux de pluie-soleil, en toi je suis toi et tu es moi... Encore... encore... En corps indivisible… Pour toujours, pour tounuits, du nuit de miel avec toi, du nuit dans le chant de ta voix… Ô ces étoiles qui coulent en nous !

Publié en 1991 aux Éditions de la revue Peau d’Âne (SOS Insestes) Collection Inscription, Préface de Michèle André, secrétaire d’État chargée des Droits des Femmes. En introduction, une lettre d’Elsa Berg et la réponse d’Éva Thomas, fondatrice de l’association SOS Incestes.

Interprétation partisane du récit poétique

Pour Babeth, « Bassin rouge » était un « conte à caractère autobiographique », mais certainement pas une autobiographie, comme l’a présentée l'éditeur. Le malentendu est de taille, car il a poussé Babeth à renier la dimension poétique de son récit pour satisfaire l’éditeur…

Quelles sont les possibles conséquences d'un tel reniement, et du détournement par un éditeur du discours tenu par l'auteur d'un écrit à caractère autobiographique ? Un tel agissement peut-il conduire l'auteur au suicide ? Car c’est ce qui s’est produit avec « Bassin rouge », transmué en « Poupée de sang ». D'autant plus qu'il n'est jamais évoqué explicitement d'inceste dans ce conte. Le sujet est ailleurs, dans la souffrance liée à l'arrivée un nouveau-né, un « intrus » qui vient briser le lien fusionnel entre l'enfant et sa mère... Pour en savoir plus sur les conséquences du détournement d'un écrit autobiographique par un éditeur, lire l'article au chapitre Écrits.

Une littérature en dentelle, poésie tachée de sang, qui tente de dire l'indicible que la mémoire a enregistrée avant les mots. Ce que le langage peine à exprimer, la peinture le chante en une mélodie composée de notes noires et blanches, où se mêle la couleur.

Babeth nous a quittés le 16 septembre 1990, à 49 ans, laissant inachevé le chemin de son existence. Les fragments de sa vie présentés dans ces pages web sont un hommage que je lui dois, pour les secrets qu'elle a partagés avec moi tout au long de sa vie de femme. Je suis venu au monde alors qu'elle avait trois ans, et nous avons traversé ensemble tous les enfers et les paradis rencontrés en chemin.

Au-delà du récit d’une histoire douloureuse telle qu’a voulu l’écrire Babeth, sous la loupe Freudienne on peut entrevoir dans les abysses de son inconscient la mise en scène du mythe de la crucifixion. Le contexte familial en est à la source, entre une mère déçue et dévastée par l’infortune de son mariage, et un grand-père dont la tendresse transgressait les frontières de l’inceste.

Babeth a longtemps porté aux nues sa mère, également habitée par le mythe sacrificiel. À ses yeux cette mère-là ne pouvait qu’être une sainte, alors qu’en réalité elle était juste une féministe... Dit comme ça, la vérité n’étant pas toujours en mesure d'éradiquer les dénis et croyances, je ne voudrais pas attiser les foudres féministes ! Alors, pour éviter tout quiproquo avec la majorité de celles que l'on croise au quotidien, je stipule parler ici d'une minorité, extrémiste, convaincue d’être systématiquement et en permanence victime du sexisme des hommes en général, et des maris en parti­culier... Pour approcher ce féminisme activiste, il faut franchir les frontières de la paranoïa.

Un chapitre de cette chronique est consacré à l'enfance de Babeth, apportant des précisions sur l’empreinte laissée par le grand-père aux câlins ambigus. Des précisions sont par ailleurs apportées sur l'influence maternelle dans ce chapitre.

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